L’image indélébile
Du 17 novembre 2018 au 12 mai 2019 Château de Tours
Site du Jeu de Paume
À l’heure des “fake news” (et prétendues telles), du mépris du mot vrai, de l’information éphémère et volatile, la photo reste, peut-être plus encore que l’image animée, le témoignage incontestable de l’histoire humaine. Au Château de Tours, l’exposition Koen Wessing, L’image indélébile, en apporte la preuve flagrante.
Photographe néerlandais, Koen Wessing n’a pas la notoriété d’un Capa ou d’une Dorothea Lange. Pourtant, les images de ses reportages à travers le monde ont la force de celles qui ont marqué ce qu’il est convenu d’appeler « la mémoire collective ». Reporter de révolutions plus que de guerres (ou d’après-guerres, il est né en 1942), portraitiste de la réalité quotidienne, Wessing a le regard « juste ». Il saisit et ne juge pas.
Ses images se lisent, se décryptent, petit à petit. Si la construction est parfaite, ce n’est pas au service d’une esthétique gratuite mais pour permettre un cheminement de l’œil qui identifie chaque élément comme un lecteur fait vivre une phrase, mot à mot. Toute une histoire se déroule dans une image figée. C’est sans doute ce qui rend le travail de Koen Wessing « indélébile », selon le titre de l’exposition. Ses photographies ne frappent pas seulement par leur beauté dramatique mais par les multiples niveaux de lecture qu’elles libèrent.
Source Instakats.com
Amsterdam 1966 Koen Wessing © Koen Wessing / Nederlands Fotomuseum, Rotterdam, Pays-Bas
La passerelle de la notoriété
Autodidacte et globe-trotter dans l’âme, Wessing, a bourlingué de par le monde, guidé par son instinct. Il le conduira au Chili, au Nicaragua, des guerres intérieures qui ne disent pas leur nom, mais aussi chez lui, à Amsterdam, en 1969, lors de l’occupation de l’université. C’est l’occasion d’un fait d’armes, anecdotique, certes, mais qui lui vaut une notoriété inattendue. Alors que le bâtiment est bloqué, il bricole une passerelle entre l’université et un immeuble voisin pour pouvoir emmener ses bobines au laboratoire. L’exposition du Château de Tours, venue comme souvent du Jeu de Paume (l’accord entre les deux lieux est une formidable idée, génératrice de découvertes exceptionnelles), est un magnifique et terrible voyage dans un monde bouleversé et bouleversant.
L’homme, certes, n’est plus, mais son témoignage capturé demeure. Comme ces mots célèbres qu’on n’oublie plus une fois qu’on les a lus, certaines des images de Wessing restent gravées dans la mémoire dès lors qu’on les a vues, ne paraissant pas porter sur un instant particulier du passé, mais sur quelque chose de plus universel. Ses photos nous montrent les « damnés de la terre », sans toutefois les déshumaniser, sans leur assigner un rôle de victime : ils demeurent nos semblables. Souvent, Koen Wessing part à la recherche de ceux qui pleurent les morts qu’il a croisés, ou de ceux qui tentent de retrouver leurs « disparus ».
Estelí, Nicaragua 1978 Koen Wessing © Koen Wessing / Nederlands Fotomuseum, Rotterdam, Pays-Bas
Une tragédie grecque
Ce qui reste sans nul doute imprimé dans la mémoire est que m’aura légué Monsieur Wessing de son juste regard, c’est certainement ce cliché réalisé en 1978 dans la ville d’Esteli au Nicaragua où ces deux femmes pleurent l’assassinat de leur père, abattu par l’armée au pouvoir à l’époque, sous le régime Somoza. Cette œuvre, plus tard reprise par l’artiste chilien Alfredo Jaar, cristallise la souffrance de ces deux femmes telles la Pietà de Michel Ange.
source vimeo.com